L’amour de l’homme-panda

images-1Voyez cette photo d’un homme (ou d’une femme ?) déguisé en panda, cette délicatesse dans le geste, cette abnégation pour ne pas effrayer le petit dont il prend soin et le laisser baigner dans son milieu animal, loin des humains qui le privent – involontairement – de son autonomie.
La photo m’a d’abord amusée, vaguement émue. Puis j’ai ressenti la bonté et le dévouement de cet homme prêt à effacer, autant que possible, toute trace d’humanité en lui, pour sauver le monde animal, et j’ai ressenti une émotion plus profonde, senti comme un espoir naître en moi.

J’ai pensé dit qu’il serait merveilleux que nous mettions autant d’altruisme au service de nos semblables.
Il ne s’agirait plus d’effacer notre humanité, mais de nous fondre entièrement dans le monde de l’autre, de renoncer à nos particularités, à nos aspérités, qui pourraient compromettre son bien-être et ainsi établir une communication absolument fluide, comme un cours d’eau tranquille et pur.
L’autre, en confiance totale, dans son élément, se parlant presque à lui-même, libéré de la tension du jugement, comprenant qu’il n’a pas besoin de travestir les apparences devant son double, pourrait enfin laisser libre cours à l’expression de ses pensées, de ses émotions, de ses rêves.
Comme l’homme-panda, en miroir, nous serions le récipendiaire silencieux et bienveillant de cette parole.

Il y aurait communication, mais y aurait-il échange ?
Dans le cas du panda, c’est toute l’idée. Que surtout il n’y ait pas de transfert d’humanité, faute de quoi il ne saurait pas survivre à l’état sauvage.
Dans notre cas, s’adresser à un double bienveillant nous laisse-t-il inchangé ?
Non. Car la bienveillance, je vous en ai déjà parlé, peut faire des miracles. (voir Mieux que la confiance; mais aussi L’hiver sans saboteur; Saboter les réseaux …)

La seule écoute bienveillante, dépourvue de jugement, voire encourageante, peut transformer une vie. Quand votre interlocuteur ne cherche pas ce qu’il y aurait de faux dans votre raisonnement, quelle erreur vous pourriez commettre en mettant vos idées en œuvre, quel échec vous attend sans doute si vous persistez dans votre rêve, un rideau s’ouvre, le ciel se dégage, le soleil se lève et soudain tout devient possible.
C’est parce que nous sommes si sensible au jugement d’autrui, parce qu’un froncement de sourcil ou un air dubitatif peut suffire à nous détourner d’une entreprise, qu’un mot de l’autre jeté parfois à la légère peut venir se ficher comme une flèche dans notre volonté fragile, parce que nous sommes exposés en permanence à l’altérité, que l’on confond parfois avec l’hostilité, que la simple bienveillance à l’effet souvent d’une potion magique .

Mais notre vie ne saurait être peuplée exclusivement de gens qui tendent à nous ressembler absolument. Un monde uniforme dans lequel chacun effacerait ses particularités serait terrifiant. Il faut bien sûr que d’autres rencontres aient lieu. Des autres vraiment autres. Une altérité riche, excitante, humanisante justement, sans laquelle toute pensée serait stérile et toute relation aride. L’autre est comme un engrais sans lequel nos personnalités restent chétives et nos sentiments étroits. La différence est un écrin. Comme le ciel pour la terre. La différence qui seule nous permet d’exister. Celle que les dictateurs cherchent à effacer et que les esprits faibles tolèrent mal, et qui est bien le signe d’une forme de liberté.

L’homme-panda, par amour pour la différence, s’efface absolument. Il s’agit de la survie d’une espèce menacée, dont la disparition serait dramatique nous dit-on. Aux grands maux les grands remèdes.

Mais ce que j’aimerais moi, c’est que la différence n’effraie personne, que les masques tombent, mais que l’amour reste.
Que nous soyons différents et bienveillants.

Photo d’Ami Vitale, pour un sujet de National Geographic, prise au Wolong China Conservation & Research Center for the Giant Panda.

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