Mener sa vie sur la voie de l’épanouissement, comme j’essaie d’aider mes clients à le faire, demande beaucoup de courage. D’après le Larousse, le courage est « une force de caractère qui permet d’affronter les circonstances difficiles », ou simplement une « énergie, envie de faire (le courage de se lever) ». Les deux sont nécessaires, le deuxième me semblant une version édulcorée du premier. Il s’agit en tout cas toujours de ramasser au fond de soi une énergie qui nous permettra de faire face à une difficulté.
Il y a les petits courages quotidiens, nés de notre mode de vie, que nous n’envisageons même pas de questionner. Un réveil quotidien au son d’une sonnerie hostile, un trajet un peu éprouvant jusqu’à un lieu de travail pas toujours très accueillant, des repas pris dans des cantines parfois aveugles et toujours bruyantes, voilà quelques éléments d’une somme d’incitations à de petits courages qui passent inaperçus (tant que tout va bien du moins).
Mais la gamme des courages est infinie, d’autant plus que chaque individu y met sa propre coloration. Ce qui est presque insurmontable pour moi sera aisé pour un autre, ce qui est une épreuve pour l’un peut être un plaisir pour l’autre. Sans compter les épreuves réellement éprouvantes que nous envoie la vie.
Ceci pour m’amener à vous parler d’un courage un peu particulier, qui lui aussi prend pour chacun une coloration particulière, qui est le courage de rien faire. Je n’entends pas par là rester au lit toute la journée, mais ne pas chercher à agir sur quelque chose ou sur quelqu’un.
En quoi est-ce du courage ? Il s’agit, la plupart du temps, de réprimer un désir, ou même une pulsion, qui nous prend à la gorge ou aux tripes et nous met en mouvement avant même que nous en ayons conscience. Voyez le gourmand devant la vitrine du pâtissier. Bien avant (c’est à dire quelques centièmes de secondes) de se dire qu’il a envie de cette tarte au citron, il va saliver, quelque chose de chaud va s’animer dans son estomac, ses pieds vont se diriger vers la porte de la boutique et sa main se tendre pour l’ouvrir. Mais alors il va peut-être se souvenir qu’il sort de table et que ce n’est pas raisonnable, ou que son médecin lui a recommandé de diminuer sa consommation de sucre, ou que lui tout seul s’est promis d’y prendre garde. Alors voilà le courage qui se lève et fait barrage à la gourmandise. Il interdit le passage à l’acte, et ce faisant impose au film intérieur, qui en était sans doute déjà à la sensation de la pâte sablée sur la langue, de se rembobiner. La dégustation n’aura pas lieu, que tout ce qui avait été mis en émoi dans le corps à cette perspective se rendorme. Voilà le courage qui combat les zones du plaisir qui s’étaient allumées, comme une sorte de pompier éteignant le désir avant qu’il n’embrase tout.
Cette gourmandise peut être transposée à l’envie de dire ses quatre vérités à son patron (professionnellement suicidaire mais tellement tentant), à la tentation de faire à la place de nos enfants (ce sera beaucoup plus vite et beaucoup mieux fait, mais notre rôle d’éducateur aura-t-il pris sa pleine mesure ?), et plus généralement à toutes les tentations qui pourraient causer notre perte.
Il y a aussi le courage de ne pas persévérer (étrange n’est-ce pas comme ces mots ne vont pas ensemble) lorsque cette persévérance confine à l’obstination sans objet : « J’ai commencé, j’irai jusqu’au bout ». Peu importe qu’il s’agisse d’une fausse route ou même d’une véritable erreur, nous voilà lancé et rien ne nous fera avouer que nous nous méprenons. Il faut un courage d’une qualité particulière pour s’arrêter en chemin et faire demi-tour.
Il existe un autre courage rare, chez les hommes et femmes d’action, qui est lié à l’acceptation. Accepter que les choses soient ainsi, sans chercher à les modifier de façon don-quichotesques. C’est la fameuse phrase de Marc Aurèle qui en appelle au courage de modifier ce qui peut l’être et à la force d’accepter ce qui ne le peut pas (1). Ce qui met au même plan le courage de mener une guerre ou de ne pas la commencer. Et lorsqu’elle est entamée, les taoïstes, eux, nous rappellent que si l’un des deux accepte de perdre, il n’y a plus de guerre. Ne pas agir, c’est aussi l’art de céder. Ce qui demande un courage singulier de l’ego.
Enfin, accepter, c’est aussi avoir le courage de regarder en face une réalité pénible pour certains : l’homme n’a pas de prise sur tout, tout le temps. Nous ne pouvons pas toujours intervenir sur le cours des choses, bien que nous ayons souvent été élevés dans l’idée inverse. Le travail, l’effort, la volonté, le courage lui-même ne nous ont-ils pas été inculqués pour nous donner la possibilité d’intervenir de façon décisive sur notre environnement ?
Pourtant, regardez autour de vous : quel pouvoir avez-vous sur ce train en retard, sur cette pluie qui gâche vos vacances, sur ce prestataire qui ne vous livre pas le travail annoncé, sur cette chantilly ratée, sur la varicelle de votre enfant, sur la panne de réseau qui vous empêche de répondre à votre client, sur un amour non partagé, … ? Qu’avez-vous à gagner, dans ces cas-là, à vous agiter, à vous mettre en colère, à maudire le ciel ou votre prestataire informatique, à chercher sans fin des solutions ou à vouloir modifier les sentiments d’autrui, alors que de toute évidence accepter la réalité est la seule attitude possible ? Sentez-vous le stress improductif, la dépense d’énergie inutile ? Et sentez-vous aussi le courage qu’il faut y renoncer?
D’autant que la troisième partie de l’aphorisme de Marc Aurèle est souvent oubliée : il nous faut aussi la sagesse de distinguer ce qui peut être changé de ce qui ne peut pas l’être. Peut être le plus difficile de tout ?
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(1) « Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre ».
Illustration Louise Charneau – Instagram @lestatasdelouise