Permettez-moi, en ces temps douloureux, de vous parler du bonheur. Il m’est revenu que la dernière conversation que j’avais eu sur le sujet était à Beyrouth, dans cette ville de toutes les souffrances, où pourtant chacun trouve encore un sens et une finalité à la vie, et bien souvent transcende la difficulté dans la joie et dans la création.
La soirée était douce. La densité et la tiédeur de l’air lui donnaient le poids d’une étole légère sur nos épaules. Les bougies éclairaient la joie d’être ensemble et laissaient les tourments dans l’ombre.
Un peu trop de vin, on en vint à parler de bonheur. Chacun en avait sa définition, mais pour beaucoup il s’agissait surtout de fugaces – mais infiniment précieux – assauts de plénitude volée au quotidien. Je voulus leur dire que le bonheur est un chemin. Que même si l’on y trouve des épines, des cailloux, parfois des gués qui semblent infranchissables, c’est marcher sur ce chemin, le regard ferme vers son but, en y engageant tout son corps (et par là son esprit, notion vague mais dont vous savez désormais qu’il s’agit principalement, à mon avis, d’électricité et de chimie, donc de corps) qui nous permet d’accéder à ce que nous pourrions appeler le bonheur.
Chacun se récriait qu’il fallait d’abord trouver ce chemin, l’un dit qu’il en changeait chaque jour, d’autres doutaient de jamais avoir une conviction sur l’itinéraire, tous me trouvaient bien candide. Je voudrais juste remarquer qu’aucun ne prit comme excuse « la situation » pour dire qu’il était difficile d’être heureux. Nous avions tous compris, implicitement, qu’il s’agissait d’un état endogène dont nous étions individuellement responsables.
J’appelai Matthieu Ricard à la rescousse : « le bonheur authentique, c’est le sentiment profond d’avoir réalisé de la meilleure des façons le potentiel de connaissance et d’accomplissement qui se trouve en soi » (1). Je voyais encore bien des sceptiques et la fatigue me fit renoncer à argumenter.
Mais je suis fâchée aujourd’hui de n’avoir pas partagé ce que je crois avoir découvert. Ce que j’aurais voulu dire ce soir-là, c’est que ce « sentiment profond » dont parle Matthieu Ricard s’accompagne de la connaissance de soi, et de la jouissance de progresser.
Il faut bien sûr pour cela voir sa propre vérité sans crainte et décider de ce que l’on veut en faire.
Vite écrit, mais il faut une vie pour y parvenir (et parfois l’aide d’un coach). L’essentiel est d’y tendre, puis de s’observer dans cet exercice de la liberté, pour s’assurer que l’on n’en dévie que par fatigue momentanée, et savourer souvent ce moi plus solide, plus assuré et plus tranquille.
L’expérience est excitante, toujours étonnante, sans cesse porteuse de surprise, de découverte. Comprenez de quoi vous êtes capable, et vous n’aurez de cesse de l’expérimenter. Et c’est cette tension vers le faire (pas toujours mieux, mais ce qui me convient le mieux) qui crée du bonheur.
Car une vie menée ainsi est forte et rythmée, pleine, réjouissante. Il s’agit d’une danse entre l’être et le faire, la réflexion et l’intuition, la méditation et l’action, l’émotion et la raison. C’est un mouvement constant, une valse vive et douce à la fois, une philharmonie bien accordée dans laquelle des solos se font entendre, une ascension parfois lente, parfois rapide, mais qui toujours se rapproche de l’objectif, une alternance de calme et d’excitation, de joie et de peine, de plénitude et de manque. Mais nous pouvons faire de chaque étape soit une progression, et que et les retours en arrière ne soient là que pour confirmer que nous sommes sur le bon chemin.
Ce faisant, nous pouvons profiter plus pleinement de ce qui nous est offert, être plus et mieux en contact avec le beau, avec la magie de cette vie si banale et si merveilleuse, et avec l’incroyable machine à penser et à sentir que nous abritons en nous : notre Grand Moi.
Mais bien sûr les raisons se pressent en masse pour ne pas initier ce mouvement. Il est plus confortable de ne pas « y croire » que de consacrer sa vie rechercher de sa propre vérité. Et puis il y a souvent une bonne dose de besoin de paraître qui se révolte à l’idée d’une vie plus intériorisée et peut-être moins remarquable.
Pourtant je sais que lorsque nous trouvons les moyens de nous rapprocher de nous-mêmes, de scruter nos valeurs enfouies sous les épaisseurs de l’image – qu’il ne nous importe plus alors de renvoyer -, lorsque nous devenons notre propre aventure, que notre curiosité à notre égard et à celui du monde remplace l’inquiétude de faire comme attendu – peut-être grâce au coaching – alors nous comprenons, sentons, que la vie est plus pleine, plus riche, bien plus intéressante qu’avant, que nous vivons, enfin, plus près du bonheur. Proust disait qu’ « on ne reçoit pas la sagesse, il la faut découvrir soi-même après un trajet que personne ne peut faire pour nous, ne peut nous épargner ». Il serait en effet très triste qu’on nous l’épargne, car il s’agit de la vie même !
Ce trajet, ce sont les rêves, les émotions, la plénitude, l’énergie, la créativité, la liberté, mais aussi la maîtrise, les contraintes, les choix douloureux, la discipline. C’est que les premiers sans les seconds restent une nébuleuse d’intentions non abouties, et les seconds sans les premiers ne sont que carcans enserrant une chair sans vie. C’est le dialogue harmonieux des uns et des autres, leur usage astucieusement combiné, l’acceptation de l’échec et le respect pour le rêve qui donnent sa pleine mesure à notre vie.
Et ressemble au bonheur.
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(1) Matthieu Ricard – L’Art de la méditation
Illustration Louise Charneau – Instagram: draw.me.a.lady