Tout changer

Bien des gens, en entrant dans mon cabinet, croient avoir envie de tout changer. Mais très vite, après quelques minutes, un certain nombre me disent qu’ils détestent le changement. Il est certain que nous avons besoin d’îlots de stabilité dans notre vie. Si nous nous réveillions chaque matin dans un lieu différent, entouré de gens différents et confrontés à des moeurs différentes, l’effort d’adaptation serait trop élevé pour nous laisser les forces nécessaires à faire quelque chose d’autre, sans compter que notre santé mentale se détériorerait probablement rapidement. Les tenants du flex-office et les réorganisateurs obsessionnels feraient bien d’y réfléchir. Il nous faut des repères et des points d’ancrage.

Mais il y a donc ce désir de changement. Bien sûr tout le monde voudrait que change ce qui ne va pas, que les obstacles s’aplanissent, que ceux qui nous manquent reviennent, qu’un job en or se présente, que de nouvelles opportunités apparaissent. Mais sans perdre le confort d’aujourd’hui, les amis d’aujourd’hui, la sécurité d’aujourd’hui. Outre qu’une partie de ce comportement est immature, il est aussi irrationnel. Tout a un prix, que Thoreau estimait à la quantité de vie nécessaire pour l’obtenir. Espérer l’inverse serait déraisonnable.

La vie c’est le changement

Et cette vie par laquelle on paie ce que l’on désire, elle est elle-même faite de changement. On peut donc dire que l’on investit du changement pour obtenir l’objet de nos aspirations.

Pourquoi affirmer que la vie est faite de changement ? Parce que c’en est la définition même. Je me souviens de la règle apprise à l’école selon laquelle est vivant ce qui naît, croît et meure. De toute évidence impossible de faire cela sans changement.

Nous savons que nos cellules se renouvellent en permanence et que la totalité de notre corps est différente de celui d’il y a 15 ans (notons que, malheureusement, les cellules du cerveau ne participent pas à la fête et qu’elles se contentent de vieillir, ce qui est un changement aussi).
Les niveaux hormonaux se modifient au cours des différents cycles qui donnent le rythme à nos journées et à nos ans, injectant ainsi du changement permanent dans notre corps et nos humeurs. Le cycle le plus inconscient et pourtant le plus vital est celui de la respiration, auquel viennent s’ajouter tant de cycles ultradiens (pensez à vos « coups de barre » de milieu de matinée ou d’après-midi), quotidiens (veille et sommeil encore), mensuels, …

Sentez-vous ces changements de rythme, de vitalité, de désirs, de dispositions d’esprit qui se superposent dans une danse bien réglée mais qui parfois s’affole ?

Et il n’est pas que la biologie qui change en nous. Voyez nos goûts. Qui ne s’est pas mis à aimer un met, une musique, un tableau, ou une activité : voyager, peindre, jouer au poker ou bricoler, et dans le même temps à désaimer d’autres choses ?
C’est que l’expérience, les émotions, les arrangements cérébraux, bref notre carte du monde change avec le temps.
Si nous n’étions pas capables de ce changement, nous ne serions pas capables d’apprendre, puisqu’apprendre c’est modifier sa bibliothèque de savoirs et donc sa perception du monde.

Et comme nous changeons tous, que nous apprenons tous et que nous cumulons nos apprentissages, avantage compétitif inouï que nous avons sur les autres espèces, et bien nous faisons changer le monde, en grande partie de façon inconsciente et involontaire. Et par une boucle de rétro-action, nous nous adaptons en permanence à ce monde mouvant, et cela sans y penser la plupart du temps.

Et il y a bien sûr les changements qui prennent place à l’échelle de la planète, ou même peut-être une échelle plus grande : saisons, végétation, réserves naturelles, faune, climat …

Je crois que j’ai déroulé assez d’exemples et que vous êtes désormais convaincu que la matière première de la vie est le changement. Donc ne pas l’aimer, c’est ne pas aimer la vie. Ce qui peut arriver, mais ce n’est sans doute pas le cas de vous qui me lisez.
En avoir peur, c’est avoir peur de la vie, et cela est déjà plus répandu. Avoir peur de souffrir, de se tromper, de regretter, de faire souffrir aussi. Et tout cela arrivera inévitablement au meilleur d’entre nous. Mais la bonne nouvelle, c’est que selon cette loi qui veut que la vie soit changement, rien de tout cela ne durera. Les souffrances et les doutes seront passagers et déboucheront sur un niveau de satisfaction supérieur. Et là encore le changement s’imposera et viendra faire basculer l’équilibre, mais le processus global tendra, si nous l’accompagnons délibérément et que nous y mettons notre meilleure volonté, vers un niveau moyen d’épanouissement et de contentement supérieur.

Accueillir le changement

Il est donc impossible et vain de s’opposer au changement, et improductif d’en avoir peur. Avec l’aide de quelques repères immuables que chacun se choisira (valeurs, compagnons, croyances, lieu sûr), accueillons-le au contraire à bras ouverts, avec toute notre curiosité, et cherchons dans chaque bouleversement les pépites de bonheur qui s’y cachent. C’est alors une toute autre histoire qui s’écrit. Il ne s’agit plus de subir le changement, mais de le rechercher et de s’en servir. Et notons qu’il ne s’épuisera jamais, nous aurions tort de nous en priver!

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