C’est un peu tôt pour déjà vous parler d’automne (vous savez désormais mon goût pour les saisons et le rythme qu’elles donnent à la vie). Mais cette rentrée pluvieuse m’a inspirée …
Les parisiens n’ont pas pu ne pas voir la pluie diluvienne qui est tombée sur la ville au début de cette semaine. Quant à moi, elle m’a fascinée, presque hypnotisée par sa violence, cet entêtement qu’elle mettait à inonder immeubles, trottoirs, voitures et gens. L’idée de reporter mes obligations de l’après-midi pour rester à l’abri de sa virulence a rôdé dans mon esprit pendant tout le déjeuner. Mais l’énergie de cette pluie a fini par me gagner, et je me suis jetée dans les rues avec ce qui me semblait un courage héroïque.
En réalité, sous un parapluie (qui me fut offert la veille, merci cher T.) et chaussée de bottes, le désagrément physique était réduit.
Or, après quelques pas, le bruit de ces énormes gouttes quand elles heurtaient le sol, la sensation d’humidité, l’odeur des feuilles des marronniers du boulevard, la lumière oscillant du gris au jaune, tout cela m’a ramenée à mes 10 ans, chez ma grand-mère, sur le petit chemin qui reliait sa maison au village.
Le « petit chemin » (ce nom commun lui servait de nom propre) était le royaume des enfants. Bordé d’un côté par des pâturages vallonnés, de l’autre par des petits arbres qui s’agrippaient sur la pente rude qui descendait vers le chemin de fer, il nous était autorisé sans la compagnie d’un adulte puisqu’aucune voiture ne pouvait y passer. Nous y promener, en y promenant généralement un chien, était une des rares distractions de nos vacances, hormis la lecture et le jardinage. Nous étions sensés « jouer dans le jardin », ce qui revient souvent à s’ennuyer dehors plutôt que dedans. Ce petit chemin avait donc comme avantage de nous affranchir des présences adultes, nous faisant par là nous sentir « grands », et de mener à une épicerie où nous dépensions notre argent de poche en bonbons et chocolats adorés, que nous dégustions au retour, assis à mi-chemin sur une petite butte.
Ce petit chemin donc était notre eldorado, mais nous sommes en Wallonie et le climat notoirement humide des prémices des Ardennes nous forçait souvent à partir à la conquête de notre bonheur sous une pluie battante.
Et nous y voilà : c’est sans doute dans ces conditions météorologiques que j’ai conçu mes plus grands rêves. Vous souvenez-vous des étendues parcourues par votre imagination à 10 ans ? Comment les moins « populaires » d’entre nous se rêvaient les rois de l’école, les plus timorés de grands explorateurs ? Et puis déjà nous rêvions à de grandes amours, à un destin hors normes, nous étions star de cinéma, Rolling Stone ou Jules Verne. C’est l’âge de tous les possibles. Nos talents semblent tapis dans l’ombre, prêts à bondir dès que la vie nous le permettra, dès qu’on aura fini l’école, dès qu’on aura le droit de…, bref quand on sera grand.
Et aujourd’hui, ne vous arrive-t-il jamais de vous dire, en constatant que vous n’avez pas réalisé une chose qui vous tient à cœur, ou que vous avez choisi une voie qui vous a éloigné de vos rêves d’enfants, de vous dire « quand je serai grand je le ferai», pour vous souvenir ensuite que vous êtes grand, et en conclure que c’est donc raté, que ça n’arrivera plus ?
Et bien sous mon parapluie lundi dernier, connectée à mes 10 ans par tous les sens, je suis restée dans cet état d’esprit de « quand je serai grande » pendant une demi-heure, ce qui est très long. Je devrais plutôt dire cet état d’âme, ou de corps, car l’esprit y était pour fort peu. Il s’agissait plutôt d’une sensation de joie, de légèreté, de longévité, qui m’a rendue légère, heureuse, détendue, et qui a duré dans ses effets : je crois vraiment qu’il me reste à grandir, que je peux encore rêver, que la vie va être merveilleuse.
Quand je serai grande.