J’aime vous parler du printemps, et voilà la troisième fois qu’il revient depuis que j’ai ouvert ce blog. Ce dimanche où Paris s’est réveillé de sa torpeur, où la vie a semblé une fois encore dire qu’elle reprenait ses droits, où soudain quelque chose s’est mis à pétiller en chacun de nous, où nos corps sont redevenus nos amis, où nous avons à nouveau eu envie de courir, de chanter, de rire, ce dimanche était follement semblable à bien d’autres qui m’ont ravie, chacun à leur tour, année après année, entre février et avril.
Ce mois de mars si prometteur, et qui tient si peu ses promesses, je le connais comme un vieil ami. Sa familiarité me rassure, il ne me surprend jamais, et cette permanence fait partie des délices de ma vie. Rien ne peut gâcher le plaisir né de cette routine annuelle, pas plus que de celle du séjour « à la neige » qui la précède de peu. Les années finissent d’ailleurs par se superposer les unes aux autres, annihilant ainsi le temps. Et vous me trouverez surprise devant une photo de moi 10 ans plus tôt au même endroit, surprise de voir que j’ai changé, que le temps a eu prise sur moi pendant ces années alors que la neige semble toujours la même, que les courbes des montagnes et le rosé du couché de soleil sur leurs pentes sont chaque année l’exact même ravissement. Et je comprends alors que cette routine me donne des sensations d’éternité. Si j’aime tant faire les mêmes choses au même moment, si la variété des destinations de vacances m’est assez indifférente, je découvre que c’est parce qu’ainsi je crois mater le temps. Ma tête a envie de découvrir le monde, mais mon corps réclame son illusion : en lui refaisant vivre ce qu’il connaît déjà, il croit qu’il ne vieillit pas, qu’il est toujours le même, et qu’il ne disparaitra jamais.
Peut-être est-ce pour cela que la routine a si mauvaise presse. Elle engourdit et elle donne à croire des chimères.
Mais pourquoi ne pas vivre dans ce tendre brouillard?
Plus de goût
Parce que cette recherche de sensation d’éternité finit par nous ôter celle de la vie. Quel paradoxe que, par trop grand amour de la vie, nous en venions à en oublier le goût ! Dans sa fadeur soudain la routine nous écoeure, nous attriste, éteint notre feu.
La rue où nous habitons, la maison de vacances, le menu du petit déjeuner, le journal ou la station de radio du matin, le café où nous avons nos habitudes, le soleil sur les toits voisins, le tapis de la chambre, tout soudain nous donne la nausée. Et ce grand besoin de changement, qui nous avait épargné un long moment, nous prend soudain à la gorge. Même un matin de printemps n’en vient pas à bout. Alors, une folle gaité ou une angoisse inconnue va s’installer en nous, ne nous laissant aucun répit. Nous sentons la pression intérieure qui fait craquer les certitudes, nous nous y accrochons encore quelques temps, et puis soudain, un jour, comme poussé dans le vide par une main invisible, nous sautons.
Le saut dans la vie
C’est ce saut grisant et merveilleux que j’aime accompagner, parce que c’est celui de la vie. La seule chose qui vaille la peine de vivre, c’est l’expérience pleine et forte du présent. La nostalgie et l’anticipation du futur sont deux antidotes au bonheur, et ressemblent souvent à une fuite. Seul ce qui se passe ici et maintenant a le goût, la forme et l’intensité du réel. Et la sensation du temps présent ne peut être forte que si ce temps est très distinct du précédent. Les dimanches deviennent délicieux quand ils sont tous différents, et chaque minute, séparée de ses compagnes qui la précèdent et la suivent, recèle des voluptés insoupçonnées. Il est possible de vivre cette intensité-là au creux d’une routine (la pleine conscience nous y conduit), mais plus sûrement, pour vous et moi, ce seront les petits et grands défis que nous nous lancerons, les ruptures d’équilibre, les entreprises un peu folles, qui mettront notre Grand Moi aux commandes et nous donneront cette sensation jouissive de vie dense et épanouie.
Alors vive le printemps, et faisons en sorte qu’il ne soit pas comme les autres!