Aux angoissés du futur, aux mécontents du présent, je voudrais en guise de vœux pour la nouvelle année délivrer deux nouvelles qui pourraient les réconforter :
La première, c’est que l’évolution formidable de la technologie, initiée par l’homme et qui vient à son tour faire évoluer l’homme, n’est pas un événement soudain et potentiellement apocalyptique, mais bien la bonne nouvelle que l’humanité continue d’évoluer d’une façon qui lui est particulière et qui la signe. Mais je préfère laisser la parole à Jean-Jacques Hubin, paléoanthropologue, en partageant avec vous la conclusion de sa leçon inaugurale au Collège de France[1] :
« l’utilisation de supports de mémoire externes et de machines qui savent compter et même raisonner nous permet en fait d’appliquer nos capacités cognitives à d’autres tâches. La modification constante de notre environnement, la manipulation du génome d’êtres vivants, commencée par les premiers fermiers néolithiques, le temps de plus en plus long que nous prenons pour devenir adulte et l’âge de plus en plus tardif auquel nous commençons à nous reproduire, enfin le caractère de plus en plus artificiel de la reproduction humaine, tous ces changements de plus en plus rapides dont nous sommes les témoins inquiets ne sont pas les errements malheureux des sociétés postindustrielles. Ils sont la continuation logique, inexorable, d’une évolution commencée il y a deux millions d’années. La comprendre, c’est éclairer notre présent et peut-être nous aider à maîtriser notre futur. »
Voilà pour ceux qui voudraient faire marche arrière. Ce sont des millions d’années d’évolution qui nous ont mené là où nous sommes. Ça va être difficile de freiner …
Et si cela ne paraissait pas une bonne nouvelle à tous, voici la deuxième promise, qui montre comme cette évolution est grosse d’espoir : là où nous en sommes aujourd’hui semble en réalité être le temps et le lieu le plus propice au bonheur que l’humanité ait jamais connu. Je dis bien « propice ». Le concept de bonheur est flou, personnel, et les moyens d’y parvenir sont débattus depuis l’enfance de la philosophie. Mais force est de constater que l’environnement n’y a jamais été aussi propice. Dans « Homo Deus », Yuval Noah Harari – dont je ne partage au demeurant pas la vision peu séduisante d’un homme totalement algorithmique[2], ni le futur que cela nous réserverait – fait remarquer que les trois fléaux de l’humanité, à savoir les épidémies, les famines et les guerres massives, sont désormais en voie de disparition. Les esprits chagrins trouveront à contredire, mais les chiffres sont là : « pour la première fois de l’histoire, plus de gens meurent de manger trop que de ne pas manger assez ; plus de gens meurent de vieillesse que de maladies infectieuses, et il y a plus de morts par suicide que de morts dues à des actes de guerre, de terrorisme ou à des crimes »[3]. Dans la mesure où la mort elle-même est encore à ce jour inéluctable, voilà de bonnes nouvelles.
Je voudrais en particulier attirer votre attention sur la baisse de la violence, que le traitement de l’information et sa circulation occulte entièrement, voire dénie.
Steven Pinker[4], professeur de psychologie à l’université de Harvard, y a consacré un ouvrage formidablement documenté dans lequel il développe les nombreuses explications à cette baisse continue de la violence, dont il me plaît de relever ici deux facteurs explicatifs : le rôle grandissant des femmes dans la société, et la lecture d’ouvrages de fiction développant la théorie de l’esprit, mais il en existe bien d’autres, dont certains inattendus, comme la baisse des taux d’intérêt. Ce que je vous propose d’en retenir pour commencer 2018 avec l’optimisme qui caractérise ceux à qui la réussite sourie (autre démonstration d’autres psychologues de Harvard[5]), c’est que le monde n’a jamais été aussi sûr, et que la courbe de la violence, qui n’a jamais connu d’inversion, tend vers zéro.
Il semble donc que cette drôle d’évolution nous mène à bon port, et qu’il s’agisse réellement de progrès. Voilà qui j’espère réjouira ceux qui craignent l’avenir. Voilà aussi qui j’espère donnera à chacun l’envie d’être partie prenante de cette évolution, en apportant sa part de paix au monde.
Très bonne année !
illustration: Le Bouddha (faisant le signe de l’absence de crainte) – Odilon Redon
[1] Jean-Jacques Hublin – Biologie de la culture – Leçons inaugurales du Collège de France – Fayard
[2] Je lui préfère, je ne vous étonnerai pas, la subtile vision du grand neuroscientifique Antonio Damasio, exprimée dans son dernier opus « L’ordre étrange des choses » paru chez Odile Jacob
[3] Yuval Noah Harari – Homo Deus – Vintage (la traduction de l’anglais est de mon cru)
[4] Steven Pinker – La part d’ange en nous. Histoire de la violence et de son déclin – Les Arènes
[5] Voir « Comment devenir un optimiste contagieux » de Schawn Achor