Les réseaux sont plus puissants qu’on ne vous le dit

La force des réseaux est ce qui fait la force de l’humanité. Longtemps seulement des hommes. Et si les femmes prennent conscience de l’importance des réseaux, cela pourrait modifier radicalement de cours de l’histoire.

Ce qui a permis à Homo Sapiens de dominer progressivement, puis de remplacer la totalité des autres hominidés, et de prendre le pouvoir sur notre petite planète (certains le déploreront mais là n’est pas la question), c’est sa capacité d’apprentissage social. On entend par là sa capacité à apprendre des autres, et non pas seulement tout seul, par sa propre expérience. Si vous y pensez, même nos adorables bambins qui, devenus adultes, refusent obstinément tout conseil de leurs parents, n’en seraient pas là si la société dans son ensemble ne leur avait pas transmis l’écriture, les mathématiques, beaucoup de science et un peu d’histoire. Imaginez qu’au lieu de cela ils aient été tenus dans l’ignorance absolue (ce qui semble impossible, mais a été presque « réussi » dans certains pays en ce qui concerne les femmes). Ils auraient de toute évidence perdu beaucoup de temps, et nombre d’entre eux auraient fini leur vie sans avoir compris un traitre mot de ce qui était écrit autour d’eux, sans avoir compris grand-chose à leur environnement, et ils auraient utilisé leur temps sur terre à réinventer, à chercher des explications déjà trouvées, et sans doute à créer en utilisant un temps précieux des concepts et des objets déjà largement disponibles et accessibles.
C’est ce qu’évite l’apprentissage social. Et c’est ce qui fait que les singes (quelle que soit leur espèce) rivalisent souvent d’habileté avec les hommes à certains tests de mémoire mais restent incapables d’apprendre à lire ou à écrire. Point d’apprentissage social chez eux.
« Cette différence cognitive unique entraîne une cascade de conséquences : elle rend possibles de nouvelles formes d’héritage culturel, d’une puissance inégalée » nous fait remarquer Michael Tomasello[1].


Si je vous parle de cela aujourd’hui, c’est pour vous faire sentir la puissance d’un réseau d’humains. Car si nous apprenons de nos parents et que « la manière dont les hommes instruisent activement leurs petits est une des dimensions les plus significatives de la nature humaine » (toujours d’après Michael Tomasello), nous apprenons aussi de façon continue, tout au long de notre vie. Par d’explicites formations, mais aussi par les livres que nous lisons, les films que nous regardons, les informations que nous recevons par différents media (quand ils sont écoutés avec la bonne dose d’esprit critique) et l’ensemble de ces réseaux sociaux si décriés mais si riches en données de toutes sortes.
Et puis, il y a cette formidable force du réseau proche, directement activable, des gens autour de nous, qui peuvent nous transmettre un savoir ou un savoir-faire (et là, parfois, aujourd’hui, l’enseignement se renverse et c’est au tour de nos enfants de nous apprendre à nous servir de Zoom ou d’un Google drive, et je me demande ce la psychologie évolutionniste en dira dans deux mille ans).
Ce réseau est aussi une source d’informations de terrain, d’observations, d’idées créatives, de nouvelles connections utiles, et bien sûr de soutien affectif et moral, qui peuvent changer nos vies.

J’espère vous avoir convaincus, mais vous l’étiez sans doute déjà. Mais peut-être comprenez-vous mieux pourquoi le réseau est vital.

Je voudrais maintenant en venir à la moitié de l’humanité qui semble avoir été dominée par l’autre pendant quelques millénaires. Vous voyez de quoi je parle.

La préhistoire est à la mode[2], et il semble désormais avéré que la période des chasseurs-cueilleurs était une période « proto-féministe », comme l’écrit Rutger Bregman[3], pendant laquelle les femmes ont joui d’une grande liberté, ont pu se déplacer à leur guise et fraterniser avec qui bon leur semblait. Certains pensent même, à l’observation des œuvres pariétales en particulier, que la femme pouvait avoir eu une place dominante dans un certain nombre de groupes humains de l’époque.

Puis l’humain s’est sédentarisé, a découvert la propriété privée, l’héritage, et donc la nécessité de s’assurer que sa descendance était bien la sienne. C’est alors que la femme, au lieu d’aller et venir au sein de ces groupes informels et apparemment très pacifiques et égalitaires de chasseurs-cueilleurs, est devenue une propriété dont il fallait soigneusement garder la clé. Tellement soigneusement qu’il en a été fini pour elle, pour des millénaires, d’appartenir à un réseau suffisamment large et varié que pour apprendre et se développer.
Certains pensent[4] que ce manque de réseau a été l’explication principale de la domination imposée par les hommes aux femmes pendant si longtemps. Car ce n’est ni une différence d’intelligence (no comment), ni une infériorité physique (les femmes ont eu et ont toujours leur lot de travaux des champs et de travaux ménagers extrêmement pénibles, inutile de mentionner l’enfantement, et elles semblent en réalité aussi performantes dans l’armée que les hommes) qui ont empêché les femmes de reprendre le pouvoir.
C’est leur isolement, l’ignorance dans laquelle elles ont été tenues, la privation d’information sur l’état du monde qui, de génération en génération, les ont rendues – dans une certaine mesure – impuissantes. Et quand on observe ce de quoi elles sont capables malgré tout, imaginez-les avec un réseau vaste et solide ! C’est l’humanité entière qui y gagnerait. Car, comme l’écrivait Louise Michel en 1898 « jamais je n’ai compris qu’il y eût un sexe pour lequel on cherchât à atrophier l’intelligence comme s’il y en avait trop dans la race ».
Voilà à quoi je pensais aujourd’hui quand, après avoir activé un réseau, j’ai eu le bonheur de recevoir de l’aide, de l’énergie, de l’enthousiasme et des idées. Merci à vous, ensemble on ira beaucoup, beaucoup plus loin.

Joyeux Noël!


[1] Auteur de « Aux origines de la cognition humaine », un des livres les plus passionnants que je connaisse !

[2] Je vous recommande la lecture très plaisante et éducative de « l’homme préhistorique est aussi une femme » de Marylène Patou Mathis, chez Allary Editions

[3] Auteur de « Humanité, une histoire optimiste » aux Éditions du Seuil

[4] C’est la thèse défendue entre autres  par Yuval Harari dans « Sapiens »

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