J’étais à Bruxelles ce week-end (quelle ville surréaliste, reflet ou source de cette auto-dérision belge que j’aime tant?). Je retourne au Musée Magritte, visité enfant. Et je découvre un Magritte sublime, bien loin de la pipe et du chapeau melon, qui ne lui ont servi qu’à illustrer la relativité du langage.
L’art du réel
Magritte a dit « le surréalisme c’est la connaissance immédiate du réel ». Honnêtement, comme ça, ça ne me dit pas grand-chose. J’ai toujours vu le surréalisme comme une sorte d’amusement de potaches qui tentaient de se remettre de la pire guerre que l’humanité ait connu jusque là. Mais voilà : ma rencontre avec ces toiles à la fois oniriques et incroyablement réelles ouvre une voie dans mon esprit. Je tombe en arrêt devant un tableau et j’explique à mes compagnons qu’on « dirait un objet ». Je veux dire par là que c’est la première fois que j’ai envie de toucher un tableau. La chose peinte n’existe pas dans la réalité, mais Magritte l’a faite exister, il a ajouté un objet au monde. Je m’approche pour voir le nom du tableau, et bien il s’appelle … « Le prince des objets » !
Magritte a réussi le miracle de rendre réel, palpable (ou presque) un objet imaginaire, par la seule force de sa peinture. Et de me faire apercevoir la force du surréalisme.
Il a dit que le sens de la vue était le seul sens qui soit intéressé par un tableau, il ne savait pas que ses tableaux interpelaient aussi le sens du toucher ! (Et me revoilà avec cette idée de choses palpables dont je vous parlais plus tôt, mais continuons).
La culture, pour quoi faire ?
Il faut que je vous dise : si je suis entrée dans ce musée samedi, c’est parce que j’étais avec ma fille de 9 ans et qu’il me semblait inconcevable de ne pas lui montrer ça en allant à Bruxelles. Elle est entrée avec des pieds de plombs comme il se doit, et n’a gardé de cette visite que le souvenir du ciel bleu au-dessus des lampadaires allumés, ce qui n’est déjà pas si mal. Et sans doute comme moi, se souviendra-t-elle un jour d’être entrée dans ce musée avec sa mère et aura-elle envie d’en savoir plus sur un peintre que tout le monde connaît mais dont elle ne sait pas grand-chose. J’espère lui transmettre l’envie d’avoir envie.
Et voilà qui me mène à une question récurrente dans ma pratique : nombre de mes clients disent n’avoir pas assez de temps à consacrer à la culture, ou vouloir mettre plus de culture dans leur vie. Et je me demande (et leur demande) souvent ce qu’ils attendent de cette culture qui leur manque.
La culture dans son acception la plus primaire est d’abord une somme de connaissances qui fournit des codes sociaux. Il est de bon ton aujourd’hui de feindre de négliger cet aspect-là de la culture, qui n’est pourtant pas si négligeable dans la mesure où il permet d’établir des liens entre les hommes et donne une cohésion à la société.
C’est ensuite un outil de compréhension du monde (tout est culture, ou la culture est tout : histoire, géographie, sociologie, physique, sciences naturelles…), et il me semble que mieux comprendre son environnement permet d’y vivre de façon plus satisfaisante.
Pas de culture sans joie
Mais la culture doit pour moi avant tout être source de joie. La culture doit parler à mes émotions, à mes sens (je retourne à Magritte), à mon expérience personnelle. J’ai lu Proust un été de jeunesse dans la grande maison qu’une amie mettait généreusement à la disposition de notre petite bande. Je me revois sur la terrasse, dans un transat, en train de m’esclaffer silencieusement dans ma lecture. Un ami m’a regardé étrangement, m’affirmant que j’étais bien la seule personne au monde à rire en lisant Proust. En fait je riais de bonheur. Le bonheur d’avoir trouvé sous la plume de ce génie l’expression exacte d’un sentiment familier, mais que j’aurais été incapable de décrire. Je ne lisais plus Proust, je découvrais quelqu’un qui m’avait décryptée et comprise. J’ai eu le même rire devant le Prince des objets, ou devant une coupe en verre de Murano (*) de la renaissance dont la pureté des lignes renvoyait de façon saisissante à celles d’une vaisselle dessinée très récemment par un artiste pour une grande maison de porcelaine.
La culture serait donc ce qui touche à l’universalité de l’homme.
Le choix de la culture
Et ce serait pourquoi, en ces temps de solitude, nous aspirons tant à du temps culturel. Et permettez-moi de vous rappeler qu’écouter une sonate de Mozart plutôt que les infos, ou lire Proust plutôt qu’un magazine, ne relève pas d’une problématique de temps, mais d’un choix.
(*) voir l’exposition Murano au musée Maillol.
llustration: Magritte, le Prince des objets, 1927