Exercice N°11: En colère, adoptez la perspective de l’adversaire

Comment maîtriser sa colère, ou même l’empêcher de se former, m’avez-vous demandé.

Bonne question en des temps ou cette colère s’exprime si promptement sur les réseaux sociaux, dans les discours des politiciens et dans les cours de récréation. Alors pourquoi la dompter si chacun la trouve si séduisante ? Pour toutes les raisons que j’exprime à longueur d’articles ici. Surtout, surtout parce qu’elle crée un stress et que vous savez que le stress rend inintelligent et ne devrait être utilisé que pour sauver sa peau, littéralement.
Pour vous en convaincre, je vous engage à chercher dans vos souvenirs récents un exemple de colère (la vôtre ou celle de quelqu’un d’autre) qui a débouché sur une situation meilleure, et surtout meilleure que si elle avait été gérée calmement. (Si vous en trouvez une je serais heureuse que vous la partagiez).
Certains pensent qu’une « bonne colère » (chose qui n’existe pas) calmera l’adversaire et lui fera comprendre qui est le maître. Peut-être, mais sans doute pas. Cela fera surtout comprendre à l’autre à quel point vous êtes prompt à perdre le contrôle, et mieux (ou pire) encore, quel est ce point faible en vous qui, touché, vous fait exploser. Vous vous exposez ainsi à la malveillance d’autrui.
Et si cet autrui est bienveillant, vous l’aurez en tout cas sûrement profondément blessé (on en revient aux mots https://www.paulinecharneau.com/les-bons-mots/), dompté peut-être, mais tant qu’il en deviendra peu performant, quoi que vous attendiez de lui.

Se souvenir encore et toujours des dommages créés par la colère est indispensable. Sans oublier que la victime est parfois … vous-même[1].

Et c’est le premier pas vers la « guérison ». Ne plus avoir la croyance que la colère est un outil de gestion des relations humaines, qu’elle est parfois saine.
Bien sûr, il y en aura encore. Et notre devoir de bienveillance vis-à-vis de nous-même nous oblige à nous pardonner, et à nous encourager à faire mieux la prochaine fois, sans jugement. Voilà le décor que nous devons planter.

Il y en aura encore. Mais maintenant que nous savons que la colère n’est pas bonne, nous pouvons avoir le réflexe, quand elle monte, de tenter de la tuer dans l’œuf.
La colère est très souvent liée à un sentiment d’injustice, de droits bafoués : « Je donne tout et je ne reçois rien » ; « c’est encore moi qui trinque » ; « moi on ne me laisse jamais le droit à l’erreur » ; « j’y ai droit comme tout le monde » ; « c’est moi qui fait tout ici et personne ne s’en rend compte» etc … (je parle ici des petites colères quotidiennes).
Lisa Feldman Barrett, dont je vous parle souvent, dit que la colère est une forme d’ignorance. Ignorance de ce qui se passe dans l’esprit de l’autre.[2] Ignorance, et affabulation[3] suis-je tentée d’ajouter.
Vous ai-je déjà raconté quand (presque) toute colère vis-à-vis d’un de mes enfants était tombée quand un autre m’avait expliqué qu’il ne faisait pas exprès, et que ma personne n’entrait tout simplement à aucun moment en ligne de compte dans son comportement ? Tout d’un coup, ce que je prenais pour une provocation constante devenait juste un trait de caractère que certes, je ne partageais pas, mais qui ne m’affectais pas.

Je vous propose donc aujourd’hui un premier exercice (d’autres viendront)  pour endiguer votre colère :

Exercice n°11 : Adopter la perspective de l’adversaire

Il s’agit, quand vous sentez une colère monter vis-à-vis de quelqu’un (ou d’une situation, mais on en veut finalement toujours à quelqu’un, fusse soi-même. C’est pour cela que certains ont besoin de rendre le Président responsable du Coronavirus, ou de la sécheresse, ou des inondations. Il faut que leur colère vise quelqu’un), quand cette colère monte, donc, identifiez-là vite, et donnez-vous 5 minutes avant de l’autoriser à s’épanouir. Et posez-vous cette simple question :

Et si j’avais tort ?

On ne se le dit pas souvent n’est-ce pas ? Et pourtant :
Si j’avais tort de penser qu’ils se fichent de moi ? Si j’avais tort de penser qu’elle ne pense qu’à m’emm.. ?; si j’avais tort de croire que personne ne valorise mon travail ? Si elle avait vraiment fait ce que je lui ai demandé ?…

Et puis :

Si j’ignorais quelque chose ?

Si il me manquait des éléments ? Si je ne savais pas qu’il avait déjà essayé trois fois d’appeler le client, qu’elle avait passé toute la nuit à faire des recherches, que ce capharnaüm est en réalité le résultat de deux heures de rangement maladroit de mon ado, que cette cuisine crasseuse est le signe qu’on a voulu me faire une surprise et préparer le repas à ma place ? Et si tout simplement je ne m’étais pas fait comprendre, peut-être parce que je n’ai pas pris la peine de m’expliquer et que non, ce n’est pas évident pour tout le monde ? et si …

Le seul fait d’accumuler les suppositions, sans qu’elles soient nécessairement toutes justes, vous permet de comprendre qu’il n’y a sans doute pas d’injustice, de violation de vos droits, d’irrespect. Peut-être juste de la maladresse. Et votre colère tombe.

Il reste un problème à régler. Calmement.


[1] Nous sommes souvent en colère contre nous-même. Tout ce que j’écris ici est valable dans ce cas. Imaginez juste une partie de vous-même en colère et une autre partie victime de cette colère.

[2] « Anger is a form of ignorance. Ignorance of the defendant’s perspective ». In « How emotions are made »

[3] Comme toujours. Quand le cerveau ignore, il invente.

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