Nous nous interrogions récemment entre amis sur l’origine de la « niaque », cette énergie inépuisable que l’on rencontre chez certaines personnes. Etait-elle innée ou acquise? Y a-t-il des gens qui en ont et d’autres qui n’en n’ont pas?
Le Larousse m’informe que cela peut aussi s’écrire gnaque, en souvenir de son éthymologie grecque : « mordre ». D’ou vient donc ce mordant, cette combativité ? Certains seraient-ils nés avec cette énergie alors que d’autres en seraient dépourvu, et ainsi condamnés à feindre du mieux qu’ils peuvent ou à tout simplement vivre sans ?
Beaucoup autour de la table (en France, ces conversations ont toujours lieu autour d’une table) tenaient cette énergie mordante pour innée. Tel n’est pas mon cas, et vous avez peut-être déjà une idée, si vous me suivez un peu, des fondements de ma position.
Je pense que chacun bénéficie de la même énergie, ou tout du mois de la même capacité à en générer. Il serait bien étrange que nous naissions avec un stock d’énergie qu’il nous serait donné de consommer dans le temps que durerait notre vie.
La clé de la niaque est dans l’équilibre production/consommation.
Nous produisons notre énergie principalement par la nourriture, et nous donnons du repos à notre corps pour lui permettre d’en consommer moins jusqu’à ce que nous en reproduisions. Repos qui permet aussi à notre cerveau de mettre un peu d’ordre, de faire la synthèse, de ranger et de répertorier toutes les informations qui lui sont arrivées lors de notre état de veille.
Nous dépensons notre énergie par notre activité physique, y compris notre activité cérébrale, qualifiée de « mentale » mais bien physique néanmoins.
Calories et repos, activité physique, voilà qui semble assurer le fonctionnement énergétique de notre corps. Deux paramètres relativement contrôlables même s’ils varient d’un individu à l’autre.
Ce qui devient moins contrôlable, c’est l’impact d’autres paramètres sur ceux-là. Les troubles alimentaires sont bien connus même s’ils sont encore difficilement soignés, les troubles du sommeil font la fortune de l’industrie pharmaceutique, et certaines personnes sont toujours fatiguées, consommant à activité égale plus d’énergie que d’autres.
La clé de la niaque est dans l’équilibrage production/consommation.
Notre usine à production d’énergie est facilement dérèglable. Plutôt qu’une déficience ou ultra-performance de fabrication (innée), ce sont des grains de sable ou au contraire de l’huile qui viendront se mettre dans les rouages au cours du temps et qui feront la différence.
De même la consommation d’énergie va être affectée par notre mode de fonctionnement. Et j’ai la conviction que c’est le dérèglement de la production ou celui de la consommation (ou les deux) qui fera, à constitution égale, que l’un aura la niaque et pas l’autre:
Les dérèglements de production, sauf quelques cas purement physiologiques, sont bien souvent la conséquence de notre mode de consommation d’énergie. En effet, si notre vie se passe à mener des actions qui nous coûtent énormément d’énergie, cela indique que nous ne sommes pas à notre place, que nous ne faisons pas les bonnes choses pour nous. Non seulement nous sommes fatigués, parfois de façon chronique, mais nous sommes aussi insatisfaits et déprimés. Voyez ce que ces états peuvent avoir comme impact sur notre comportement alimentaire et sur notre sommeil. En solde, nous consommons énormément d’une énergie que nous peinons à produire. Aucune niaque possible là.
Comme si l’on actionnait un commutateur
Voyez comme un adolescent peut être épuisé par tout et pour tout, avachi sur son lit ou se traînant avec difficulté jusqu’à la cuisine pour vous aider avec une lenteur infinie à mettre la table, ou encore repoussant avec dégoût le moment de faire ses devoirs. Il semble parfois que son corps va s’effondrer d’un tel manque de tonicité. A cela s’ajoutera peut-être un vague mal de tête, une petite nausée, un mal-être général diffus. C’est que mettre la table ou faire ses devoirs lui demande une consommation d’énergie maximale, qu’il ne produit pas toujours, faute d’un sommeil réglé et suffisant.
Mais qu’un ami l’appelle pour entamer une partie de son jeu video préféré, et il retrouvera tout à coup l’usage affuté de ses membres et de son esprit, il partira en sautillant vers sa chambre pour enfiler ses baskets et vous gratifiera d’un sourire rayonnant en passant la porte. Il n’est même pas exclu qu’il marche ou qu’il pédale avec vigueur pour atteindre le lieu des réjouissances. Parce que pour lui, cette activité-là est faiblement consommatrice d’énergie.
Et si vous refusez de lui accorder cette sortie, voyez – et réjouissez-vous en – l’énergie combative qu’il va déployer pour vous supplier, vous promettre en retour un comportement parfait, voire son aide dans quelques travaux domestiques dès le lendemain. Voyez sa créativité dans la formulation de la promesse, voyez à ce moment son mordant, sa « gnaque ». Evidemment, si vous êtes comme moi, vous regrettez silencieusement (enfin pas toujours) qu’elle ne soit pas appliquée à ses exercices de maths, mais elle est là, et bien là ! Votre adolescent mollasson a la niaque, mais pas pour ce que vous pensez important.
J’ai évidemment un petit peu caricaturé (si peu). Ce qui est important de noter ici, c’est le passage immédiat et sans progressivité d’un état à un autre, comme si l’on avait actionné un commutateur qui aurait libéré soudain cette énérgie.
Ce que vous aimez faire ne vous demande pas d’énergie
L’adolescence est l’âge des extrêmes et des contrastes, et c’est pourquoi je l’ai choisi pour illustrer mon propos. Mais voyons maintenant ce qu’il en est de vous. Ce changement radical d’état, d’humeur, de niveau d’énergie, ne le vivez vous pas ? Que faites-vous avec des pieds de plomb et qu’est-ce qui vous donne des ailes ? Qu’est-ce qui pèse dans votre vie et qu’est-ce qui la fait pétiller ? Quand vous sentez-vous particulièrement vivant et qu’est-ce qui vous donne parfois envie de descendre du train de la vie ? Les réponses sont intimes et individuelles, mais je vais en partager certaines des miennes avec vous, qui vous parleront peut-être:
Je viens de passer deux jours à concevoir une nouvelle offre d’accompagnement pour les entreprises avec une personne que j’estime et qui me dynamise. Echanger des idées, en voir certaines tout d’un coup revêtir une justesse particulière, tester le discours, sentir le projet s’affiner en cours de journée puis mûrir tout seul pendant la nuit, le présenter à une troisième personne de confiance le lendemain, qui vient encore l’enrichir de sa vision et de son expérience, voilà pour quoi j’ai la niaque. A peu près rien ne m’a distraite, nous avons travaillé sans pause, sans voir le temps passer, sans fatigue (elle est venue après). Ce fut pour moi une activité non seulement faiblement consommatrice d’énergie, mais aussi régénérante. La projection dans l’action, c’est à dire dans la « performance » de cette offre, nous réjouit autant l’une et l’autre.
En revanche en moi toute concentration, tout entrain se dissipe lorsque nous évoquons l’étape, pourtant indispensable, du marketing de notre offre. Là, soudain, plus de niaque.
Voyons. Les vendeurs, les « money-makers », diront sans doute que de niaque je n’en n’ai point du tout, car seul compte le résultat monétaire. Mais ces mêmes personnes ne pourraient sans doute pas tenir une heure à réfléchir à la conception d’un nouveau produit. Cela « pomperait » leur énergie et ils ressembleraient d’assez près à notre ado dévertébré.
Vous sentez que chaque activité exige des individus un niveau de consommation d’énergie très variable, en fonction des motivations intrinsèques qui l’anime.
L’explication est simple : ce que vous aimez faire ne vous demande pratiquement pas d’énergie. Il n’y a pas d’effort, ou il n’est pas vécu comme tel. Un marathonien peut plus souffrir de devoir porter quelques cartons que de courir trois heures (si si, j’en ai un à la maison).
Vous voyez que pour chacun, la niaque va se loger à des endroits différents. Et que ceux qui « en ont » sont ceux qui ont eu la chance – ou qui l’ont construite – d’être au bon endroit et de faire vivre ce qu’ils aiment. Ils consomment ainsi très peu de leur énergie et peuvent montrer une combativité et une persévérance hors normes.
En revanche, ceux qui ne sont pas au bon endroit, soit qu’ils ne parviennent pas à s’y rendre, soit qu’ils ne le connaissent même pas, ce qui est plus fréquent qu’on ne l’imagine (d’où l’importance de la recherche de ses motivations intrinsèques, voir https://www.paulinecharneau.com/quaimezvousfaire/), ceux-là vont consommer beaucoup d’énergie pour mener à bien leur tâche et pourront paraître poussifs, totalement dépourvus de cette fameuse niaque. Mais qu’ils trouvent leur place, et les voilà mordant la vie !
Donc point de gène de la combativité. Je me dépasserai toujours pour comprendre chaque jour plus du fonctionnement de l’humain et de son environnement, en tirer quelque vision d’ensemble opérationnelle et transmettre ce que j’ai compris. Je serai toujours éteinte à l’idée de devoir décrocher mon téléphone pour « vendre ma sauce ». Mais la vie est bien faite et d’autres seront au contraire plein d’allant à cette perspective, et notre association pourra faire merveille.
L’enjeu est de savoir quelles sont ces activités qui ne requièrent qu’une faible consommation d’énergie, d’identifier celles qui au contraire l’épuisent (et vous avec), et de gérer cette équation pour qu’en solde il reste … la niaque.